La politique du supermarché a ses limites
Le marché des montres se porte bien. Swatch Group vient de l’annoncer: pour satisfaire la demande croissante de ses propres marques, il va réduire ses livraisons de composants aux marques tierces. Cette décision, validée par la Commission de la concurrence en juin, prévoit notamment une diminution de 15%, à partir de 2012, des livraisons des mouvements mécaniques. Et ceci par rapport aux livraisons effectuées en 2010.
Mettre un terme à la politique du supermarché qui règne dans le monde horloger est une volonté affichée par Swatch Group depuis plusieurs années. Trop de marques travaillent presque uniquement sur les aspects design, marketing et communication, sans investir dans l’outil de production. C’est rapidement réalisable, très rentable, mais risqué si on est dépendant de son fournisseur. Sachant qu’il n’y a pas d’alternatives crédibles à ses filiales ETA pour les mouvements mécaniques, et Nivarox, pour les organes réglants, cette annonce a certainement été vécue comme un électrochoc par beaucoup d’acteurs du monde horloger.
Et si demain, la Chine décidait d’utiliser ses capacités de production pour satisfaire sa demande interne, en pleine croissance, et par conséquent diminuait ses exportations de certains composants? Un scénario irréaliste? Pas si sûr. La Chine est depuis 2009 le premier exportateur mondial et, dans beaucoup de domaines, le supermarché du monde. L’exemple des terres rares donne une idée des conséquences possibles de cette nouvelle situation. Les terres rares sont un groupe de 17 métaux, difficiles à extraire mais indispensables à la production de diverses technologies, de l’ordinateur jusqu’aux cellules solaires. La Chine assure 95% de la production de terres rares, mais réduit ses exportations de 5 à 10% par année depuis 2005. Plus inquiétant, lors d’un incident diplomatique entre la Chine et le Japon en 2010, la Chine a stoppé momentanément ses livraisons vers le Japon. Un autre avertissement, géopolitique cette fois.
Ces exemples démontrent une chose: garder une industrie forte, compétitive ainsi qu’une capacité de production a ses vertus. A une époque où les entreprises suisses pensent à délocaliser si le franc se maintient au niveau actuel, il serait sage de s’en souvenir. Un moyen existe pour lutter contre la force du franc: rester compétitif en innovant. Il faut donc soutenir les entreprises qui maintiennent les places de travail en Suisse, et valoriser les résultats des recherches effectuées dans nos universités. Envoyons ce signal fort à notre industrie, avant que les emplois quittent le territoire.
Le gouvernement ne semble pas l’avoir compris en augmentant les fonds de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) de seulement 10 millions de francs par année pour 2011 et 2012. C’est peu et n’aura aucun impact significatif. De plus le message n’a pas été entendu. Le seul message dont on se souvient: c’est qu’il faut aller faire ses courses dans le supermarché européen pour profiter de la force du franc. Pas très convainquant.
Fabrice Dunand