Ne risquons pas un procès de l’innovation!
Le progrès, l’innovation sont des composantes essentielles de notre prospérité. S’en lasser ou s’en distancer, c’est accepter de mettre en péril notre bien-être. Pour ne pas prendre ce risque, il faut que leurs effets bénéfiques soient perceptibles par la majorité de la population.
Le journal Le Temps du 29 décembre constate que l’EPFL laisse partir ses pépites technologiques. Trois exemples de rachats de start-up par des entreprises étrangères sont mis en avant: Lemoptix et Composyt Light Labs par Intel, Faceshift vraisemblablement par Apple. Est-ce une surprise de voir des leaders américains du secteur des technologies de l’information faire leurs emplettes sur l’arc lémanique? Pas vraiment.
Une jeune entreprise a besoin de capitaux pour se développer et commercialiser sa technologie ou son produit. L’argent nécessaire à ce développement provient le plus souvent d’instituts de financement ou d’entreprises établies.
Manquons-nous d’instituts de financement dans la région lémanique ou en Suisse? La réponse est non. Regardez le montant des sanctions financières infligées par le Ministère américain de la justice aux banques établies en Suisse qui ont reconnu leur part de responsabilité dans l’évasion fiscale de contribuables américains. On parle de près de 4,6 milliards de francs, et ce n’est apparemment pas fini. Une partie de ce montant aurait pu servir à soutenir et à retenir l’innovation en Suisse. Investir dans l’innovation n’aurait pas été plus risqué que de jouer avec les lois américaines.
Et qu’en est-il des entreprises relais, ces entreprises déjà établies et susceptibles d’acquérir de nouvelles technologies ou de nouveaux produits pour rester compétitives? Sur l’arc lémanique ou en Suisse, sauf peut-être dans certaines niches, elles sont absentes dans le domaine des technologies de l’information, « hardware » et « software » confondus. Les entreprises qui dominent ce secteur sont majoritairement américaines ou asiatiques.
Il ne suffit pas que l’EPFL soit inventive dans le domaine des technologies de l’information, il faut aussi que les innovations qu’elle développe soient produites localement. C’est à cette condition seulement que l’on pourra contribuer durablement à la création de richesse dans la région. Pour cela les instituts financiers locaux doivent s’intéresser à l’innovation locale et la promotion économique attirer des leaders mondiaux du secteur. Le salut pourrait également venir de branches déjà bien implantées : la branche horlogère, si elle décide d’investir dans une montre connectée « swiss made », ou le secteur bancaire, s’il ne rate pas le train des fintech, qui permettent d’utiliser les nouvelles technologies pour délivrer différemment des services financiers.
Enraciner les start-up dans la région, c’est garder le savoir-faire, la production, les emplois ici. C’est aussi s’assurer que les fruits des investissements publics en recherche et développement profitent au plus grand nombre et pas seulement à quelques inventeurs hautement qualifiés. L’ignorer, c’est ouvrir la porte à une contestation du financement de la recherche par l’impôt. Pour rappel, le financement de l’EPFL en 2014 était assuré à 68.8% par la Confédération. Evitons un procès de l’innovation. Assurons-nous qu’elle favorise le maintien d’un niveau de vie élevé pour le plus grand nombre.
Fabrice Dunand